Midi était passé quand Pétronille faisait des affaires dans les rues, histoire d'oublier l'épisode de la taverne. Elle était cette fois-ci vêtue « bien comme il faut », avec une robe de laine basique négociée avec le tailleur pour rien, un fichu qui ne camouflait pas le moins du monde cette foutue touffe de carotte. Des chaussettes grossières lui couvraient les mollets et des sabots de bois, la changeant des souliers de cuir et des bottes, lui faisaient faire des pas minuscules, l'obligeant à se dandiner un peu.
Elle avait sous le bras un seau de lait, elle qui haïssait le lait, et rentra violemment dans un passant. Son seau se vida sur les pavés, sous les yeux du badaud qui la fixait, tout ahuri. Quel être stupide. Et en plus… C'était un nain. Avec une barbe. Tout ce qu'elle détestait.
« Monsieur, fais gaffe quand tu marches ! cria-t-elle en faisant ses yeux larmoyants et en prenant cette chose pratique qu'était la Voix Divine.Ça m'a coûté mon salaire ! Comment je vais faire pour nourrir mes frères et sœurs moi maintenant ?
- Désolé, mademoiselle. Combien je vous dois pour me faire pardonner ? s'excusa-t-il, en la priant avec les mains de se calmer pour éviter le scandale.
Cet homme était stupide. Vraiment. La jeune fille fit couler des larmes de crocodiles sur son minois, dans une réaction qui était censée être celle d'une douce jeune fille en fleur. Beurk, ça la ferait vomir.
- Une dizaine de pièces… Bouhouhou, quand je pense que… Leonid se faisait une joie de manger des gâteaux… Bouhouhou... pleurnicha-t-elle avec force.
Scrupuleux, le nain lui donna ce qu'elle réclamait, et Pétronille fila immédiatement dans un dédale de traboules saugrenues jusqu'à la grande place. Inutile de préciser qu'elle détestait cet endroit, qui puait la mort selon elle. La rouquine ferma les yeux. Un corps juvénile sans pied ni main… Elle frissonna. Pas le temps d'y repenser, par Animka.
« Mademoiselle ? Ne seriez vous pas curieuse de savoir le nom de ce charmant inconnu que vous avez croisé sur le chemin ? »
Elle avait l'impression que cette voix forte, digne d'une poissonnière, l'appelait. Non, il y avait des centaines de donzelles ici, c'était improbable.
« Ou même si ce dernier vous a véritablement remarquée? »
Ce n'était certainement pas elle, mais elle commençait sérieusement à douter.
« A moins qu'il n'ait plutôt regardé la fille à côté de vous ? »
Quitte à sembler ridicule, autant y aller ! Pétronille se rapprocha de l'origine de la voix. C'était une dame bien maquillée, bien habillée, trop bien apprêtée pour être une fille du peuple. Une voyante. En gros, dans la tête de la jeune fille, un charlatan. De quel jeune homme pouvait-elle parler ? Il y avait le truc musclé, vert et orc, mais elle s'était présentée comme un garçon, et le nain qui n'était pas jeune. Qu'est-ce que ça pourrait être ? Et cette dame, elle était trop belle pour être une simple enfant de la Plèbe, chose qui ne plaisait guère à Pétronille. Ces vêtements, cette allure, cette grâce… Tout ce qu'elle désirait et qu'elle ne pourrait jamais avoir.
La rouquine se précipita devant la voyante.
« Madame, dis-moi mon avenir. Dis-moi si cet inconnu dont tu parles est sur ma route, et son nom steuplait ! »
Pétronille ne croyait pas au destin, mais… Et si c'était vrai ?